J'avais évoqué, lors d'une de mes réactions à un post concernant Gandrange, de narrer un peu mon histoire puisque moi aussi j'ai vécu ce type de mésaventure. Je viens donc, ici, parler un peu de moi, enfin plutôt de nous, puisque je n'ai pas, heureusement, été seul...
Le contexte déjà : à la fin des années 90, au siècle dernier, quoi, j'étais monteur vidéo dans une entreprise qui dupliquait des cassettes vidéo, l'ancêtre du DVD. Comme beaucoup de militants, je cumulait de nombreux mandats au sein de cette entreprise : Délégué syndical, secrétaire du comité d'entreprise, délégué du personnel, membre de fait du comité inter-entreprise... Pas que je souhaitais porter tous ces mandats, mais, comme souvent dans le privé, j'avais été le premier à me rebeller contre la direction de l'établissement dans lequel je travaillais et, face à ma détermination et à une première petite victoire, la confiance des salariés avait été telle que je me suis retrouvé croulant sous toutes ces étiquettes. Peu ont été ceux qui ont accepté de se montrer à mes côtés mais je tiens tout de même à remercier très chaleureusement ceux qui l'ont fait et m'ont aidé au quotidien...
L'exécution de ces mandats m'a demandé énormément de temps. J'avais laissé le CE « patate » (l'organisation des vacances, des voyages, des paniers Noël...) à mes collègues du CE, préférant me concentrer sur les chiffres et informations qu'on obtenait lors des réunions et sur la revendication face, trop souvent, à la non application du code du travail. Mon implication payait et les salariés me faisait confiance. J'avais gagné même la confiance de certains cadres, aussi bien sur le site que dans les autres sites du petit groupe pour lequel je travaillais. J'étais au courant de tout ce qui se disait de moi et sur l'entreprise en mon absence. J'ai ainsi, avec plaisirs, appris que j'étais le rouge de service...
Je dois dire que je n'ai pas eu souvent à montrer les dents ou le poing, ce n'est pas ma conception du militantisme ! Il est souvent préférable et oh combien déstabilisant de se servir des armes de son adversaire : le droit et les chiffres. J'ai même eu le plaisirs de demander à la DRH de mon site de ne pas se comporter comme la caricature de syndicaliste qu'elle s'imaginait que je pouvait-être quand, alors qu'elle essayait de me faire sortir de mes gonds, je l'ai calmement, froidement, remise à sa place. Pour moi, militer, c'est d'abord tout connaitre de la personne que l'on a en face de soi et même connaitre les réponses aux questions que vous posez...
Bref, depuis le milieu des années 90, je voyais surgir ce nouveau support qu'était le DVD et je ne voyais pas le groupe investir dans ce support, sachant pertinemment que ne pas investir, c'était, à terme, tuer le site. Aussi bien lors des diverses réunions qu'auprès du personnel, je faisais fréquemment part de mes inquiétudes... que démentait immédiatement la direction !
Seulement, j'avais raison et nous nous sommes retrouvé face au DVD dans une impasse ! Trop tard pour investir, trop tard pour sauver le site ! Voilà qu'on nous présente un plan social permettant, selon la direction, de sauver les emplois... J'avais eu la vrai version de ce plan social qui, dès le début, n'était que le prémisse à la fermeture et à la mise sous liquidation judiciaire voulue par le groupe et, bien sur, cette info avait circulé (indépendamment de ma volonté, vous comprendrez que légalement, je n'avais pas le droit de faire connaitre cette info... Franchement, je ne sais pas comment ça a circulé, peut être ai-je été imprudent lorsque j'ai laissé le livret contenant cette info sur la table du réfectoire à l'heure du repas alors que je devais m'absenter... Enfin, je crois que c'est là qu'a disparu momentanément ce livret qu'on a retrouvé dans les ateliers). Bref, la colère commençait à gronder, mais pas de réaction et beaucoup ne voulaient pas croire qu'il y avait une volonté de détruire le site, comme je l'annonçais, c'était trop pour eux et, s'ils avaient confiance en moi, la nouvelle était trop violente pour eux... J'annonçais un cataclysme et, comme souvent dans ce cas, on avait du mal à me croire...
C'est lors de la mise en place du plan social que la direction a fait la pire erreur qu'elle pouvait faire : quelques salariés se sont retrouvés licenciés avec l'indemnité de licenciement légale (pas grand chose malgré, cette fois-ci, mes coups de gueule) mais surtout avec un délai d'attente avant paiement de ces indemnités et du salaire de trois mois ! Trois mois sans RIEN toucher ! La société étant en redressement, elle avait transmis cette créance au fond de garanti des salaires et c'est le délai d'attente légal ! Première réaction de ma part, je réunis le CE afin de connaitre l'état de nos caisses et, après renseignement afin de nous couvrir sur l'aspect juridique de la chose, nous effectuons un prêt à taux 0 aux salariés sus cités (nous avions fait participé l'ensemble des salariés à un vote ou nous leurs proposions cette solution, l'argent du CE étant, finalement, le leur) afin, tous simplement qu'ils puissent nourrir leur famille et payer les traites, ce qui évitera, pour certains, qu'ils soient expulsés de chez eux... Parce qu'à ce moment, ils en sont là et que nous sommes leur seul espoir devant l'abandon de la direction...
Ça y est, le feu est mis ! Je sais que cette fois ci, la lutte va être dure mais que, de toute façon, nous n'avons plus rien à perdre ! Et que la mobilisation est totale... Les salariés me savent irréprochables, tant concernant mon travail que mon engagement, ils ont confiance en moi, je le sais ! D'ailleurs, plusieurs fois, mon téléphone sonne, et la direction, sachant très bien que j'aurais la totalité du personnel derrière moi, me propose des sommes exorbitantes, 50 000 francs -refus-, 200 000 francs -refus encore-, 400 000 francs (plus de 60 000 euros !) devant témoins, j'avais mis le haut parleur du téléphone et m'était arrangé pour être entouré -bien sûr, refus toujours-... Le témoignage se répend vite. Pour ma part, je fais savoir aux salariés que, s'ils ont les moyens de me donner autant, ils ont les moyens de donner aussi aux salariés qu'ils vont licencier ! J'apprendrais, un peu plus tard que, lors d'une réunion de crise de la direction, il a même été question de me proposer un poste d'assistant aux ressources humaines avec gros salaire à la clef sur un autre site... Je refuse 400 000 francs (61 000 euros) et ils continuent à croire qu'ils peuvent m'acheter ! Décidément, notre conception de la morale, de l'humanité n'est vraiment pas la même...
Je réunis déjà ceux qui s'impliquaient dans le syndicat et le comité d'entreprise avec moi pour définir ensemble les grandes lignes de ce qu'on va faire... C'est simple : occupation ! Oui mais, comment tenir ? J'ai bien une petite idée mais je ne peux la revendiquer, on est à la limite de la légalité et je serais alors une cible facile... Nous décidons d'une réunion générale, tous doivent être parti prenante pour décider de l'action à mener et de la forme à lui donner...
La réaction est unanime : on occupe ! Et les idées que j'avais sont reprises par d'autres (un peu orientés, c'est vrai) : puisque la direction ne paie pas et nous menace de ne pas payer les salaires si nous faisons grève, nous allons nous payer ! Nous enregistrons des cassettes vidéo ? Et bien nous allons aussi les vendre ! Je met un bémol : on ne peux pas vendre les cassettes enregistrées, nous serions trop facile à contrer juridiquement, l'enregistrement n'est pas la propriété de notre employeur, par contre, pour les vierges... Tout est vite décidé et, dans l'heure qui suit, les tables sortent des ateliers pour finir sur le trottoir agrémentées d'énormes panneaux revendicatifs mais aussi portant des tarifs pour des lots de cassettes défiant toute concurrence ! Pendant ce temps, les idées fusent... Comment empêcher d'être délogé ? « Nous possédons des bandes cinéma originale et en exemplaire unique dit quelqu'un, on a qu'à y mettre le feu s'ils veulent nous virer, ça leur couteras un max » ! Sûr, j'ai eu les contrats d'assurance en main et les normes de sécurité ne sont pas respectées, si ça brule, c'est des dizaines de milliards de francs de perte ! Je laisse la décision se prendre, je suis le porte parole de ce mouvement et chacun y apporte un peu... Une heure après cette discution, des ballots de paille apparaissent... au moment ou un coup de fil de la maison mère, d'un informateur secret, me prévient que la société compte nous envoyer non pas la police, mais des maitres chiens pour nous virer... Et ils ont fait les choses en grand ! Je souris, je sais que c'est encore une erreur de leur part, que la police ne va pas aimer être zappée et que, après ce coup là, ils sont grillés, qu'ils ne pourront plus faire appel à eux... J'appelle donc les RG (renseignements généraux, notre « police politique ») pour les prévenir de notre mouvement et leur expliquer la situation précisant que, si les maitres chiens arrivent, moi, je ne reste pas, ne voulant pas être tenu pour responsable de l'embrasement de ces bobines de film ! Comme je m'en doutais, ils n'ont pas apprécié du tout être tenu à l'écart de l'intervention et je n'ai qu'une demi heure à attendre avant de recevoir un coup de fil du PDG m'annonçant que c'est un malentendu, que lui n'était pas au courant et qu'il avait été chagriné que je prévienne les RG, qui venaient de lui passer un savon, avant lui... Et voilà, plus d'intervention de personne ! Je rassure tous les regards inquiets (c'est à dire tous le monde), on a le champ libre, personne maintenant, ne viendra nous déloger, et ça devant le journaliste de france 3 que j'avais appelé avant et qui était déjà là...
La voiture des RG est arrivée en même temps que lui. Ils me connaissent et je les connais pour les avoir déjà eu sur le dos... Sont pas très discrets !
La vente commence et, à part le coup de fil de tout à l'heure, pas de nouvelle de la direction ! J'apprends, un peu plus tard qu'ils ont choisit de jouer la montre... Encore une erreur ! « Ils se lasserons quand il n'y aura plus de fric et c'est pas en essayant de vendre des cassettes qu'ils vont s'en faire », sauf qu'il n'a pas fallu 2 heures pour que la nouvelle se répande dans la zone industrielle et que les cassettes partent déjà comme des petits pains. Le reportage tv et ceux qui suivront serviront d'ailleurs notre cause ! En 4 semaines, nous aurons récolté plus de 600 000 francs ! La lutte ne fut pas dure, la mobilisation étant totale, regroupant même les anciens, ceux parti pour une raison x ou y avant, ainsi que l'aide de salariés d'autres sites du groupe, et même de salariés d'autres usines venus nous prêter main forte dans l'organisation du repas quotidien. Pas un franc ne disparaitra des caisses... Les sommes récoltées correspondent exactement à la quantité de cassettes vendues ! Les dons pour nous aider n'étaient pas nécessaires donc poliment refusé au profit de l'achat de cassette...
Après quelques jours de silence, nous sommes recontactés par la direction, s'inquiétant de notre silence téléphonique à défaut de médiatique. Nous savions que nous pouvions tenir longtemps, nous avions donc décidé d'inverser les rôles et de faire d'eux ceux qui demandent ! Le seul hic, je le sais, c'est l'administrateur judiciaire ! Il doit accepter toute dépense ! Bon, on verra bien ! Le mouvement se poursuit, toujours sans réelle négociation... La montre ! Tout est, bien sûr, ponctué d'épisodes assez cocasses ! Comme ce dirigeant arrivant sur le site et à qui nous avions préparé un joli enclos, ode à son nom de famille ovin !
La direction comprend enfin, après de longues semaines, que nous ne lâcherons rien ! Surtout que nous avons trouvé un acquéreur pour les magnétoscopes professionnels (6000 pièces)... Que voulez-vous, les requins se mangent entre eux et nous savons que la meilleure façon de leurs faire mal, c'est de frapper le seul endroit sensible chez ces gens : leur portefeuille ! Enfin, le pdg vient, ça tombe bien, sa chambre l'attends et là, surprise, l'administrateur judiciaire arrive aussi ! On a bien une deuxième chambre dispo, non ? Là, l'homme s'offusque : « je suis officier d'état, vous n'avez pas le droit, on a jamais vu ça ! » Il y a un début à tout, sauf si on négocie... Ce jour, les négociations durerons 22 heures, avec une pause toutes les ½ heure pour tenir au courant le personnel présent (c'est à dire tous et même un peu plus). La direction lâche peu au début. Encore la montre ! Mais après dix ans de travail de nuit, je veux les emmener sur mon terrain, la négociation de nuit et j'aide un peu à faire trainer, multipliant les pauses, m'offusquant façon grand-guignolesque et quittant le bureau « en colère »... Je veux que tout se passe après minuit, là, je serai à l'aise et frais, pas eux... Elles ont démarré le matin à sept heure, elles se finirons le lendemain à cinq !
Nous n'obtiendrons pas le maintien du site mais : 70 000 francs en plus du légal pour tous (y compris ceux du 1er plan), le paiement immédiat et intégral du salaire, le maintien en CDI soit sur un autre site, soit dans une autre société suivant leur convenance des salariés de plus de 40 ans ou en situation économique difficile (50 % des salariés et ça a été fait, je peux vous assurer que, dans une position difficile, la direction a su être convaincante auprès d'autres employeurs), une VRAIE cellule de reclassement avec un encadrement formé, entre autre, de moi pour les autres (avec là encore une vrai efficacité) et surtout, pour moi, les sourires des salariés, les remerciements, la joie d'avoir pu sortir de là la tête haute et surtout la satisfaction de savoir que certains sont restés militants, un peu grâce à moi, beaucoup grâce à eux...
Quand à moi, et bien je suis infirmier dans le sud de la France, allez retrouver du travail avec une étiquette pareille, mais je peux vous assurer que je n'ai jamais rien regretté !
Nous étions 115 dans cette lutte. Beaucoup ont perdu leur emploi mais tous ont gardé la tête haute !
Quand à moi, un peu gaucho, c'est sur, un peu mégalo peut-être, mais pas vendu pour un euro !
Alors pourquoi ce texte ? Pas pour me faire mousser, et là, je remet en cause l'étiquette mégalomaniaque. Juste pour deux choses :
Il est très difficile de militer et de regrouper, de favoriser une réaction sur la simple présentation d'analyse, même si celle-ci est claire et évidente pour tous... La peur ? Le déni ? Plein de freins à une réaction concertée, en fait...
Quand l'analyse se confirme par des faits, la réaction deviens alors inévitable et peut aller très loin. Le sentiment d'abandon, de trahison que ceux qui, s'ils savaient l'analyse juste, continuaient à croire qu'il était impossible que cela soit vrai est alors inéluctable et jusqu'au boutiste ! Et à ce moment, malheur à ceux qui les ont trahis, se rangeant ouvertement du côté des exploiteurs...
On peut, quand on milite et que l'on est conscient de ce qui se passe passer par des moments de doute, voire de colère... La lutte n'aurait pas été la même si nous avions pu réagir massivement plus tôt et ce site existerai peut-être encore, mais si j'avais baissé les bras, que seraient devenus ceux qui n'étaient plus « employable » au regard des patrons ? De plus, la lutte que nous avons mené a créée des fiertés et une forme de militantisme, on peut dire, puisque la confiance envers l'employeur de ceux qui sont passé par ces moments avec moi est plus qu'émoussée...
Et puis, mon comportement a été en totale adéquation avec ma pensée militante : j'étais le leader ? Tous l'ont dit, mais, pour moi, je n'étais que le porte parole du mouvement, rapportant et organisant les décisions que nous prenions en commun. Si j'ai orienté, je n'ai jamais été dirigiste, ce qui nous a permis de tenir ensemble plutôt que de me voir avoir totalement raison seul !
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